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Lauriane Firoben
céramique contemporaine

Chemin artistique

Photo de Lauriane Firoben, céramique contemporaine

Dans la caresse de la terre et l’étreinte du feu, célébrer le chant du monde, comme un acte sacré

Profondément liée à la nature, pétrie de terre et de feu, j’aborde la céramique par le prisme sensible des éléments pour en faire une expérience vibratoire forte. Je déploie une approche des terres sigillées qui me ressemble, en transcendant les codes, un peu trop sages à mon goût, de cette technique de surface antique particulièrement exigeante : par le jeu des cuissons au bois, et parfois des enfumages, sur des argiles de cueillette patiemment affinées pour n’en garder que la fleur, telle une danse avec le feu, mon expression est libre, sauvage, intuitive, et ouvre l’espace des songes.

Il ne s’agit que de terre : argiles de cueillette, argiles de rencontre, argiles sauvages, autant de noms évocateurs pour désigner mes premières alliées fondamentales, et laisser deviner mon plaisir à garder l’œil à l’affût sur les talus, fossés, berges les recoins propices à glaner des argiles qui, longuement affinées à l’atelier puis révélées par la flamme, m’offriront de vivantes et vibrantes nuances. Ces alliées sont aussi l’expression d’un ancrage dans la nature qui m’enlace et me choie, d’un amour pour la terre nourricière et d’un rapport au monde tissé d’observation, de patience, de lenteur et de respect de ce qui m’environne. Et si l’émail est pour l’instant absent de mon travail, c’est pour laisser s’épanouir à pleine voix le chant de la terre.

Il ne s’agit que de feu : fours à bois éphémères ou pérennes, le feu m’est vital. Feu de basse température, puissance féconde, sauvage et pourtant douce, qui sublime les terres qui lui sont offertes, en écrivant sur chacune une histoire singulière. Confier mes céramiques au feu pour qu’il fasse son œuvre : dans un four à bois, il ne s’agit plus d’une simple formule rhétorique un peu poétique ou mystique, mais d’une réalité enflammée.

Le feu est alors mon second grand allié, qui toujours a le dernier mot, m’oblige à l’humilité. Souvent, il sait de moi ce que je ne sais pas encore, et m’offre ses lumières inattendues. S’il se laisse apprivoiser par le jeu de l’expérience patiente, des échecs et des attentes déçues qu’il faut transcender pour en tirer l’enseignement, il n’est pas question pour moi de le maîtriser. Le feu est mon allié, mais en lui confiant mes céramiques, je me confie à lui pour qu’il m’enseigne à accueillir, et que cette initiation céramique éclaire mon chemin de vie.

Il ne s’agit que d’une intention de beauté : beauté qui inspire, pacifie, nourrit et élève l’âme. Chemin choisi, vocation assumée, contribution poétique, résistante et nécessaire, à l’humanité espérée. « Les esprits ont besoin d’un oxygène qui n’est pas celui des mots d’ordre mais des beautés qui inspirent », profère l’écrivain Patrick Chamoiseau. « C’est bien grâce à la beauté qu’en dépit de nos conditions tragiques nous nous attachons à la vie. Tant qu’il y aura une aurore qui annonce le jour, un oiseau qui se gonfle de chant, une fleur qui embaume l’air, un visage qui nous émeut, une main qui esquisse un geste de tendresse, nous nous attarderons sur cette terre si souvent dévastée. J’aimerais pousser jusqu’à dire que la beauté, d’une certaine manière, justifie notre existence. N’est-il pas vrai qu’au sein de la beauté, but de notre quête, nous éprouvons la sensation de ne plus viser à rien d’autre ? Nous sommes là, pleinement dans l’être. Nous sommes, tout simplement. La beauté, un ornement, un surplus, un superflu ? Force nous est de constater qu’elle est essentielle dans la mesure où elle participe du fondement de notre existence et de notre destin. », écrit l’artiste François Cheng. Beauté qui suspend le temps, ralentit la course effrénée. Au-delà des subjectivités, une intention…

Aux ailes de l’aurore, j’ai accroché mes rêves.
Et le jour qui se lève a murmuré : respecte, honore.

Alors j’ai cueilli des argiles au gré des chemins, les ai affinées avec l’aide de l’eau de pluie, puis concentrées grâce au souffle du vent, pour nimber mes céramiques. Je les ai confiées aux flammes dans différents fours à bois ; assise auprès de mon feu, je me fie à lui et nos humeurs se lient.

Formes contenantes et fécondes, souvenir des mains en coupe originelles et des rondeurs archétypales ; formes refermées et contemplatives, comme des artéfacts patinés par l’usure du temps.

Sur les argiles fines, le feu laisse son empreinte, paysages universels, histoires intemporelles. Analogies, changements d’échelle, trouble des sens : qu’il s’agisse d’un bol très doux au creux des mains ou d’une puissante sculpture le microcosme céramique se fait expérience vibratoire pour explorer l’infini du macrocosme, l’infini en soi.

Échos, résonances… Invitation au voyage intérieur.

Quand le monde extérieur blesse, chercher refuge dans l’alchimie merveilleuse de la terre et du feu, pour s’inventer un monde intérieur bienveillant, où la douceur est forte et la force douce, où la vulnérabilité est richesse et la sensibilité trésor, où la rêverie est l’alliée précieuse de l’action, où la poésie est guide et la beauté phare dans la nuit. De l’intérieur à l’extérieur, il n’y a qu’un souffle, pour créer alors un monde sensible, un monde qui résonne.

Dans la caresse de la terre et l’étreinte du feu, l’esquisse d’un chemin : célébrer le chant du monde, comme un acte sacré.